Quatrième de couverture

« Elle fait toujours sensation quand elle rentre dans un bar, parce qu'en général c'est plein de lépreux, et elle, on dirait une star de cinéma. Cela intrigue les gens de savoir ce qu'une fille pareille peut bien faire là. Ils croient que c'est une erreur, qu'elle cherche un téléphone ou quelque chose du genre. Ensuite, ils croient que c'est une pute de luxe qui attend quelqu'un dans un endroit mal choisi. Puis, ils s'habituent à sa présence, et ils replongent dans leur insignifiance.

Ils ne peuvent pas imaginer que c'est précisément cela qu'elle vient chercher près d'eux. Prendre un bol d'insignifiance comme on prend un bol d'air frais ».

Imaginez qu'une sœur soit née deux ans après vous, qui rassemble tous les atouts dont vous manquez.

Imaginez qu'elle se lance dans la vie avec un aplomb formidable, tandis que vous restez dans l'ombre, trop complexée pour croire en vous.

Vous êtes malheureuse, oui, mais pas jalouse. C'est votre sœur et vous l'adorez.

Imaginez que tout doucement cette sœur dérape, que sa chance se désagrège, parce qu'elle a été trop impatiente, ou imprudente, ou parce que le monde se dérobe forcément.

Vous la voyez zigzaguer d'erreur en déception, de rebuffade en démission, et vous souffrez jusqu'à la déchirure.

Comme elle n'entend pas vos appels, comme son parcours devient définitivement inquiétant, il ne vous reste plus qu'une seule chose à faire: raconter toute l'histoire, dans l'espoir de vous libérer d'elle.  

 

Extraits de presse

On a rarement écrit sur l'ambivalence des sentiments entre deux soeurs des considérations aussi subtiles. Comme sur la perdition de celles, de ceux, à qui, au départ, nul privilège ne paraissait dénié. 

Décidément, le grand talent d'Elisa Brune l'autorise à jouer sur tous les claviers!

Pierre Mertens – Le Soir – septembre 2000

 

Bénédicte et Clarisse sont les deux faces d'un même refus de la vie, l'envers et l'endroit d'une même éducation. Le ton est à la confidence; l'écriture, au service d'une analyse tout en nuance, sobre et dépouillée. Blanche cassé, trajectoire de deux âmes, est un roman d'une rare sensibilité.

Valérie Colin-Simard – Psychologies – octobre 2000

 

Au terme de son récit, féroce travail sur soi, sur le pacte familial, sur le lien avec la soeur, la narratrice note, à propos de celle-ci: « Elle a suivi une mauvaise pente, mais le monde entier est en pente ». Inutile en effet d'en dire plus. Un possible espoir de libération passe par ce genre de compréhension, d'élargissement de la réflexion. Elisa Brune excelle dans l'art de donner à voir le foisonnement intime sans l'appauvrir, de faire sentir la force d'attraction des abîmes en chacun et de montrer les diverses stratégies mises en place pour s'en accommoder. 

Jean-Claude Lebrun – L'Humanité – 28/12/2000

 

Pourquoi les femmes se font-elles passer pour plus sottes qu'elles ne sont? Pour rassurer. Pourquoi séduisent-elles avec des armes dangereuses qui, mal utilisées, se retournent contre elles-mêmes? Pour exister. 

La gratification ne se fait pas attendre pour nos deux soeurs abusées, exploitées, mal-aimées; qui passent du rôle de faire-valoir à celui de laissées pour compte.

Pas un cri, pas une plainte dans ces pages toutes de rage et de tendresse. On reste sans voix devant ce parcours pavlovien, ce sans faute des erreurs accumulées.

Sophie Creuz – L'Echo – 19/09/2000

 

« Cette soeur m'épuise. Cette soeur me hante. Elle ne me laisse aucun repos d'elle ». Avec Blanche cassé, Elisa Brune ose les émotions les plus noires. Un livre foudroyant.

Sophie Godin – Femmes d'Aujourd'hui – 05/10/2000

 

Hors des sentiers battus de la phrase percutante et d'un récit déroulé à toute vitesse (mode oblige), Elisa Brune prend son temps, va lentement, décrit sans se hâter. Ouf! On peut enfin se poser!

En racontant la terrible dégradation de cette Lolita à qui pourtant tout souriait, la narratrice, sa grande soeur, fait entendre sa propre douleur à ne pouvoir la sauver. C'est juste, fort, délicat.

Marie-Claire – décembre 2000

 

Ce qui aurait pu être une longue plainte geignarde ou vindicative est un bouleversant témoignage d'amour. Celui d'une soeur aînée envers sa cadette, qu'elle ne parviendra pas à sauver du gouffre où, peu à peu, elle s'enfonce.

« Comment prendre la vie au sérieux après ça? » se demande Bénédicte, en écho d'un leitmotiv qui faufile toute l'oeuvre d'Elisa Brune. Une oeuvre marquée – et plus que jamais dans ce livre tragique et déchirant – par une sorte de « classicisme » qui donne tout son poids à l'émotion et qui relève moins d'un style que de l'acuité chirurgicale du regard, de la profondeur du propos et de la vérité des sentiments.

Ghislain Cotton – Le Vif / L'Express – 06/10/2000

 

Il est difficile de précéder dans la vie une soeur à laquelle on ne peut servir de modèle parce qu'elle-même est un modèle de séduction, d'audace et d'indépendance.

C'est un vrai roman fait d'une histoire comme on en lit trop peu, avec bondissements et jaillissements, suspense et émotion, avec des questions qui sourdent naturellement, encore qu'avec force, des faits et des situations.

A chacun ses réponses. Elles sont ici sollicitées sans lourdeur par une romancière qui ne se satisfait ni de médiocrité, ni d'indifférence. Et il n'est pas besoin de se prendre la tête à deux mains pour la suivre. Si elle capte l'intérêt par un sujet grave et une histoire bouleversante, elle la retient grâce à une écriture simple et fluide, qui ne se prend pas des airs d'en être et laisse d'autant la place au véritable enjeu de ce roman qui fait mal. Bien aussi.

Monique Verdussen – La Libre Belgique – 15/11/2000

 

La Bruxelloise Elisa Brune confirme son talent d'écrivain, fait de subtilité et d'élégance.

Le Figaro Littéraire – 23/11/2000

 

Le roman de deux filles si liées et si étrangères l'une à l'autre. L'éblouissante plongeant inexorablement vers l'absolue désillusion tandis que l'autre émerge peu à peu.

Un roman qui vous tient en haleine jusqu'au bout, des personnages attachants et une réflexion sur l'éducation qui laisse songeur.

Belle Santé – novembre 2000

 

Autant le dire simplement, Blanche cassé est vraiment un très beau livre. Elisa Brune écrit avec cette même maturité insolente qui bouclait déjà les phrases de sa Petite révision du ciel. Son roman emporte. Saisit. Envahit. Et nous laisse éperdus. A la frontière frêle des sentiments cachés. 

Xavier Houssin – Point de Vue – 24/01/2001

Premières pages

Elle est venue si tôt que je ne me souviens pas de ma vie sans elle. Aussi loin que je remonte, elle était là, dans mon voisinage, toujours, toujours. De mon point de vue, elle préexiste à tout.

Quand elle était petite, le monde entier s’ouvrait devant elle. Elle était vive, malicieuse, étonnante avec sa chevelure de princesse égyptienne et son regard très clair.

Un peu trop belle pour ne soulever que l’admiration - comme un jouet mystérieux dont on voudrait démonter les rouages.

Elle a toujours eu des airs de conquérante, un parfum d’invincibilité.

Blanche, souple, resplendissant de joie ou de colère. Une soeur comme un désastre radieux.

Juste avant le terme, ma mère avait perdu les eaux en trébuchant dans l’escalier. Ma soeur est née pour ainsi dire dans le taxi. Je crois que ma mère est restée sur la mauvaise impression d’avoir été bousculée dans son agenda. Déjà cette fille n’en faisait qu’à sa tête. Evoquant l’épisode, elle disait: « J’ai bien cru que j’allais la perdre », comme si elle ne l’avait pas perdue par la suite.

Sur une photo, à trois ans, Clarisse porte une petite salopette en velours rouge tire-bouchonnée et tend les bras vers un paquet enrubanné tenu par un adulte dont on ne voit que les mains. Avec cet air émerveillé, on jurerait qu’elle s’apprête à accepter la vie sans condition.

Quand nous étions dans la baignoire, mon père nous frictionnait le dos en même temps, comme s’il récurait les deux faces d’un même animal. On aurait pu nous prendre pour des jumelles. Ma soeur m’avait presque rattrapée en taille et nos parents préféraient ne pas distinguer la façon dont ils nous traitaient. A part l’écart scolaire, je n’avais aucun moyen de me sentir plus grande ou différente. La frustration légère que j’en ressentais n’avait pas trait à ce que j’aurais pu avoir en plus, mais à ce qu’elle aurait dû avoir en moins. Elle n’avait pas attendu comme moi, elle n’avait pas mérité comme moi, elle recevait ce qui ne lui revenait pas, simplement parce qu’elle se trouvait là en même temps que moi, et sans même saisir que c’était grâce à moi. Quand nous allions dormir à la même heure, quand nous pouvions voir les mêmes films, quand elle avait accès à mes jouets, rien ne la prévenait qu’elle bénéficiait d’un traitement de faveur. Tout ce qui s’appliquait à moi s’appliquait automatiquement à elle.

A l’école, tout lui réussissait. Les professeurs l’aimaient pour je ne sais quelle lumière sur son visage. Ils punissaient la voisine quand c’était elle qui parlait. Les autres filles l’admiraient et ne se plaignaient pas, reconnaissant son ascendant. Elle décidait qui ferait partie de son cercle, parfois au prix d’épreuves compliquées. Elle se comportait comme une jeune sommité sûre de son rang.

Moi, j’hésitais entre l’admiration et l’agacement. Le prestige qui aurait dû accompagner ma position d’aînée, elle arrivait à se l’approprier avec des récits toujours plus intéressants que les miens, des drames et des exploits qui forçaient le respect. J’avais beau chercher, il ne s’était rien passé d’important dans ma journée, je n’avais jamais rien à raconter, je me trouvais insignifiante et je pleurais en cachette pour qu’elle ne vienne pas ajouter ses taquineries à mes chagrins.

Nous n’avons jamais été punies, ou presque. Quand l’une de nous avait fait une bêtise, ma mère lui expliquait ses responsabilités. Il fallait réparer, dans la mesure du possible. Si c’était un vase cassé, fournir un autre vase, même en carton; si c’était un coup donné à une amie, compenser le mal par un cadeau ou bien une bise à la victime. Ma soeur fulminait contre ces principes idiots. Elle pouvait donner la bise en mordant la joue. Elle faisait des grimaces horribles derrière le dos de ma mère, et elle la traita de « pauvre conne » dès qu’elle connut le mot. Ses excès m’effrayaient. Je crois qu’elle m’a toujours fait peur.

Nous partagions des secrets, j’étais flattée et excitée. Mais soudain son jeu prenait des proportions dangereuses et m’effrayait. Elle allait trop loin. Elle libérait les poules ou les lapins d’un fermier, déposait la mallette de ma mère dans un train en partance, sautait les barrières pour explorer des bâtiment désaffectés. Pourquoi ne pouvait-elle rester dans les limites permises?

J’ai l’air de l’accuser, mais en fait je l’adorais. Elle pouvait me serrer dans ses bras en affirmant que j’étais formidable et c’était pour moi un moment de communion profonde. Quand elle m’approuvait, le monde entier m’approuvait, à cause d’une sorte d’autorité contenue dans sa joie. Elle était sûre de notre bonheur, et cela me dispensait de le questionner davantage.