Monologue joué par Ingrid Heiderscheit au Théâtre de poche dans le cadre des Contes Urbains

Quinze ans.
Il m’a fallu quinze ans pour dire que j’ai un tout petit peu réussi à faire le tour du problème.
Et je ne parle pas du problème du sens de la vie, des fondements de la justice ou de l’existence de Dieu.
Je parle simplement de faire fonctionner les appareils bizarres qui se trouvent disposés sous nos ceintures.

Au début, j’étais comme toutes les petites grues qui attendent le Prince charmant pour allumer leur lanterne. Je me disais que les hommes auraient la science infuse.
Puisqu’ils sauraient tout, je n’avais rien à apprendre, et mes notions d’anatomie génitale, d’un sexe comme de l’autre, se limitaient aux schémas du petit Larousse.

La première fois que j’ai vu un mâle baisser son pantalon, c’était dans l’auditoire Paul-Emile Janson, au tout début de la première candi. Il était perché sur le bureau du prof, et nous étions un bon millier de bleus et bleuettes apeurés par les hurlements autoritaires des étudiants plus âgés. Les filles devaient se cacher sous les tables tandis que tous les autres chantaient en cœur : « Président montre-nous tes couilles ! » L’ambiance était survoltée. Le Président a attendu longtemps. Le Président avait tout son temps. Et puis, le Président les a montrées.
Dans un geste que je n’ai pas bien compris à l’époque, mais qui visait à ôter du paysage un appendice non réclamé, il a exhibé longuement à l’air libre ses génitoires un peu congestionnées par la traction excessive. Je regardais tout, bien sûr. Première vision, premières émotions. J’en tremblais jusqu’au fond du squelette.

La deuxième fois que j’ai vu un service trois pièces, c’était au Musée de l’Aviation du Cinquantenaire. J’y étais pour un job d’étudiante : serveuse dans un banquet d’entreprise. En fin de soirée, le Maître d’hôtel me demanda de l’aider dans un transfert de matériel, transfert qui s’avéra emprunter des couloirs curieusement déserts. Après quelques patins rondement menés, il ouvrit son pantalon bien grand et me proposa une visite. Quelle ne fut pas ma stupeur de rencontrer un objet caoutchouteux et apparemment circulaire ! Je n’avais aucune notion qu’il existe des stades intermédiaires entre le bout de chewing-gum et la trique d’enfer, et j’ai cru que j’avais affaire à une sorte de mutant malformé qui possédait, pour tout membre viril, une tumeur énorme et boursouflée en forme de ver de terre. Je m’enfuis en courant.

Et les quiproquos ne faisaient que commencer.

Un peu plus loin dans mon éducation sexuelle mais toujours étudiante, j’avais appris par une amie que pour combler un mec il faut pratiquer des mouvements de va-et-vient sur son membre. J’attendais impatiemment une nouvelle conquête pour mettre la chose en pratique. Ce fut lors d’un TD à la salle Jefke. Au terme d’une bamba où le même joli garçon était venu m’embrasser cinq fois, je l’ai désigné comme cobaye. Il était bourré mais ça valait mieux pour limiter mon stress. Guidé par mes soins, il s’est appuyé contre un grillage des terrains de tennis du campus et je me suis lancée dans les mouvements de va-et-vient recommandés. Pendant un moment, il n’y a pas eu de réaction, puis je l’ai senti reprendre ses esprits. Il m’a demandé d’un air ahuri : « Qu’est-ce que tu fabriques? ». J’étais en train de manœuvrer son instrument comme une pompe à eau, actionnant le levier de haut en bas et de bas en haut. On m’avait dit « va-et-vient », mais il manquait le dessin.

Un peu plus tard, je suis tombée amoureuse d’un beau parti d’une famille snob de Woluwé-Saint-Lambert, prénommé Bernard-Jean. On a flirté quelques semaines, puis j’ai pris rendez-vous chez la gynécologue (pour prendre les précautions indispensables). Plus rien ne nous retenait de faire le grand saut, pas même les parents du jeune homme qui avaient quitté leur villa de la Rue des Pinsons pour le week-end. Tout émoustillés, nous retenions notre souffle dans l’attente de la grande révélation. En fait de révélation, ce fut la stupéfaction, la honte et l’angoisse la plus totale.
Ça n’entrait pas.
Deux mois plus tard, après cinq ou six essais du même tonneau, j’étais convaincue que je souffrais d’une malformation congénitale. Mais j’ai voulu en avoir le cœur net. J’ai dragué un petit voyou de quartier. Juste pour voir.
Le salaud est passé comme une lettre à la poste, et j’ai mesuré toute notre incompétence, avec Bernard-Jean de Woluwé Saint Lambert. Non seulement ni lui ni mois ne savions où était l’entrée, mais jamais il ne nous serait venu à l’idée de chercher avec les mains. Pendant deux mois, il avait poussé comme un bélier, mais à côté, en plein mur.
L’innocence, c’est bien joli, mais pas au lit.

Qu’importe, les résistances étaient tombées, grâce à mon petit voyou la place était prise. Quel soulagement de savoir que je n’étais pas définitivement bouchée. J’en ai presque oublié que ma première copulation ne m’avait procuré aucune sensation notable.
Mais tout de même, c’était bizarre. Où restait le feu d’artifice annoncé ?

Quelques années et quelques partenaires plus loin, je n’étais guère plus avancée. Il fallait me faire une raison. Dans l’ascension vers le septième ciel, je me prendrais toujours le plafond dès le deuxième étage (tandis que mes fringants amoureux paradaient dans les étoiles). Il y avait quelque chose dans ma conformation qui s’opposait aux félicités suprêmes. Malformation ? Dysfonctionnement ? Blocage mental ? Et le pire de tout : je n’oserais jamais m’en plaindre à personne. Pour avoir l’air d’une gourde par-dessus le marché. J’essayais de donner le change par des grognements habiles qui semblaient parfaitement appropriés – à en juger d’après le sourire satisfait de mes partenaires.

Sur le plan professionnel, j’avais traversé tous les examens et toutes les épreuves réglementaires. J’ai eu très tôt des responsabilités et un bureau avec fenêtre sur l’avenue Louise. En deux ans, j’avais gravi les échelons et je faisais des heures sup par plaisir.
Pour le reste, je m’étais résignée à vivre dans un stade pré-orgasmique pour le restant de mes jours. Je maniais les codes et les gestes de l’échange érotique comme un enfant de trois ans qui joue au Scrabble sans connaître le secret de la lecture. C’était bien malheureux, mais comme j’étais la seule à savoir mon handicap, je pouvais décider que ce n’en était pas un. Après tout, on n’en meurt pas, et il y a d’autres façons de meubler son temps.

Mais un jour, le hasard a décidé de s’occuper de moi. Par une belle soirée de septembre, je travaillais plus tard que d’habitude dans les bureaux d’un client. Je terminais de vérifier des documents tandis qu’il discutait au téléphone avec un associé de Boston, dans un anglais parfait. Il se tenait dos à la fenêtre. Dans le contre-jour, je n’ai pas remarqué tout de suite qu’il me regardait droit dans les yeux. A la fois envoûtée et gênée, je me suis levée pour signifier mon départ. Il s’est approché et m’a tendu la main, mais au lieu de prendre congé il a continué sa conversation et m’a dirigée adroitement vers le divan. Il s’est assis à mes côtés et ne m’a plus lâchée des yeux, ni de la main !
Je vais résumer les événements. Sans jamais ouvrir son pantalon, ni lâcher son téléphone, cet homme m’a propulsée du bout des doigts au septième ciel. Non, au dix-septième. L’ascension fut tellement violente que pendant un moment j’ai été persuadée de perdre la vie en même temps que la tête. Lui souriait tendrement, avec dans les yeux le simple bonheur du travail bien fait.

Il ne sut pas qu’il m’avait déniaisée pour de vrai et que j’aurais été prête à me damner pour vivre une histoire avec lui. Il avait un boulot absorbant, une femme absorbante et trois enfants absorbants. Il ne pouvait donc s’accorder que de petites récréations sans conséquence.
J’ai pleuré plusieurs nuits sans discontinuer. J’étais amoureuse, amoureuse à me suicider, parce qu’un presque parfait inconnu avait posé le doigt sur la bombe atomique.
Grâce lui, j’ai compris qu’il n’y avait rien de secret. Le mécanisme était là, tout simple et facile d’accès. Un enfant pouvait y arriver. Et précisément beaucoup d’enfants y arrivent, ai-je appris par la suite. Beaucoup d’enfants mais pas moi. Pourquoi donc ? Parce que j’avais une maman magnifique qui voulait me protéger de la luxure et de tous ses malheurs. Dès mon plus jeune âge, elle m’avait enseigné qu’on ne met pas la main dans cette zone-là, sous peine de tomber gravement malade. Douce maman. Sainte maman. Elle a réussi à me protéger de la luxure, et même de toute sensation quelle qu’elle soit. Sous mon nombril, c’était la belle au bois dormant.

Et tous les garçons que j’avais rencontrés jusque-là, ils étaient donc aussi bêtes que moi ? Partant à l’assaut des profondeurs, cherchant à quatorze heures ce qui se trouvait en plein midi. Quand je pense à toutes ces années gaspillées dans une attente pathétique, alors qu’avec un simple jeu de main on peut s’envoyer en l’air tous les jours de la semaine ! Ah ! elle était belle la conspiration de la morale !
Je fulminais. Je tempêtais.
Et je ne m’intéressais plus qu’aux hommes de quarante ans.
Même parmi eux, il y avait du déchet.
Un nombre invraisemblable qui besognait sans efficacité.
Pour en avoir le cœur net, j’ai lancé une enquête systématique.
Il me fallait des candidats, des expériences et des statistiques.

Quoi de plus simple que de recruter sur Internet ? Rendez-vous.be devint mon terrain de chasse bi-quotidien. J’y ratissais large en me présentant sous plusieurs profils pour varier les échantillons collectés.
J’ai pu étudier ainsi un certain nombre de représentants de l’espèce mâle basés à Bruxelles, de plus d’un mètre septante-cinq, âgés de trente à cinquante ans. Les résultats sont effrayants.
Deux mecs sur dix conçoivent un tant soit peu l’anatomie de la femme. Six mecs sont satisfaits quand ils arrivent à bon port. Les deux derniers ont des problèmes pour arriver même là.
Le plus attendrissant : celui qui s’économisait pendant vingt bonnes minutes, croyant dispenser l’ivresse, puis dans un summum de courtoisie demandait : « C’est bon ? Je peux venir ? Ça y est pour toi? ». Ça n’y était ni plus ni moins que vingt minutes plus tôt, bien sûr, mais comment dire à ce consciencieux que le vagin est dépourvu de terminaisons nerveuses ? Il avait tout de même quarante-cinq ans. Et deux divorces derrière lui.

Devant ce tableau, je me suis dit que je n’étais sans doute pas la seule à connaître un parcours laborieux. Si la mécanique des femmes est un sujet tellement méconnu, d’un côté comme de l’autre, la proportion de couples heureux ne doit pas dépasser celle des trèfles à quatre feuilles.
Je me suis mise à interroger les copines.
Quand j’ai parlé de mon enquête sur les hommes, elles sont devenues tout à coup plus bavardes. « Deux sur dix, t’es sûre ? Mince alors, j’en reviens pas ! C’est peut-être pour ça, finalement, que je n’ai pas souvent… enfin très rarement… » De fil en aiguille, j’ai interrogé des dizaines de femmes, j’ai fait des fiches et des statistiques et je suis retombée sur des chiffres sidérants. Deux femmes sur dix s’éclatent avec leur partenaire. Six sur dix se débrouillent toutes seules. Les deux autres cherchent encore ce que jouir veut dire.

Il fallait agir. N’importe qui l’aurait fait à ma place. J’ai réfléchi et j’ai créé SOS orgasme, une organisation aux ramifications désormais mondiales. J’ai commencé ici à Bruxelles, il y a cinq ans, en rassemblant simplement les femmes qui avaient répondu à mon enquête, par groupe de six. Dans une première réunion, chacune apportait ses confidences et ses questions. Pour briser la glace, je commençais en racontant quelques-uns de mes déboires ; la liste était longue et on sentait tout de suite les filles plus à l’aise. Chacune avait sa mésaventure à ajouter, plus pathétique que la précédente. Le soulagement était massif : Ouf, je ne suis pas la seule à ramer comme une imbécile.
Imbéciles, nous le sommes toutes. Et ils le sont tous. On nous a fabriqués comme ça. Certains se rattrapent avec le temps. D’autres n’en trouvent jamais le courage ou l’occasion et continuent à vivoter dans l’indigence la plus totale.

A six mois d’intervalle, SOS orgasme convie les filles à une deuxième réunion qui permet de noter les progrès. Ceux-ci sont toujours étonnants. Elles ont exploré leur corps. Elles ont éduqué ou quitté leur partenaire. Elles ont décuplé leur appétit et adoptent spontanément le slogan des anciennes : « Trois orgasmes par jour, en forme toujours. » C’est un régal de les voir décrire comment elles prennent leur pied. La somme des procédés est infinie : trépidations du tram ou du vélo, bouillons du jacusi, utilisation insolite de la brosse à dents, électrique ou non, coins de table, accoudoirs, rampes d’escaliers, pantoufle en soie, chevaux à bascule, et j’en passe. On se raconte par le menu les moindres circonstances où l’on s’est payé une gâterie. On s’échange romans, films et bandes dessinées érotiques. On fait circuler les calendriers de rugbymen et les photos de vedettes à poil.

Puis sont arrivés les premiers magasins de charme féminins. Des sex-shops pour femme, si vous voulez. Sauf que là, vous n’avez pas peur d’entrer.
Avec quelques anciennes de SOS orgasme, nous avons installé nos quartiers généraux au café Le Passiflore, qui se trouve non loin de la boutique Eva Luna, dans la rue du Bailli. Une fois par mois, après avoir échangé nos expériences les plus récentes, nous allions renouveler nos équipements dans la caverne d’Ali Nana et ses quarante moiteurs. Nos recherches ont pris, je dois dire, un fameux coup d’accélérateur. C’est fou ce qu’on peut faire avec la technique ! Nos différents systèmes D marchaient fort bien, mais alors, quand on passe à l’échelle scientifique et industrielle… on découvre des choses… que la nature elle-même n’avait certainement pas prévues.

Sans quitter les approches classiques, tout en extérieur, nous avons découvert que des stimulations mécaniques : vibrations, pulsations… sont en mesure de produire des phénomènes en cascade tout à fait surprenants. Jusque-là, nous nous satisfaisions largement de deux ou trois extases consécutives. Mais avec certains petits objets de toutes les couleurs, dont certains se déguisent sous la forme inoffensive d’un petit canard de baignoire, nous avons découvert un pouvoir de répétition potentiellement infini. La première d’entre nous qui s’est risquée dans ces contrées a presque pris peur. Elle nous a annoncé : « Je crois que je ne suis pas normale. Hier, j’en ai eu dix d’affilée. Il faut que j’aille voir un médecin. » Nous étions toutes un peu envieuses et incrédules à la fois. Qu’est-ce qu’elle nous racontait ? Dix de suite ? Allons, allons ! Dans son imagination ! « Si, si, je vous jure ! Le truc, c’est qu’il faut continuer même quand on en a assez. On traverse une sorte de nausée. Et puis ça revient, foudroyant. Chaque fois plus fort que le précédent.» Nous nous sommes toutes ruées sur le même petit vibro bleu, vidant d’un coup le stock d’Eva Luna.

Lors de la réunion suivante, c’était un concert de surenchères. « Quinze en une heure, dès la première séance. » « Moi je ne compte plus, j’arrête quand je n’en peux plus. » « Hier, j’y ai passé toute l’après-midi, et si je n’avais pas dû me bouger pour préparer le dîner, j’y serais encore. »
Nous venions de faire de grandes découvertes. Petit un : le plaisir est une question de technique. Petit deux : les capacités orgasmiques de la femme sont sans limites, une fois qu’on l’attaque aux instruments. Après avoir tâtonné en moyenne dix ans pour décrocher le premier succès, c’était une belle revanche !
Mais il restait un point nébuleux. A quoi servait le vagin dans cette affaire ? C’était tout de même curieux qu’il n’intervienne jamais.

On décida de partir en campagne de reconnaissance. Il y avait bien des instruments pour explorer ce pays-là aussi. Des passifs, des motorisés, des vibrants, des tournants, des tressautant. Chacune pris un modèle différent et on repartit au boulot, qui dans sa salle de bains, qui dans son living-room, qui dans son jardin (c’était l’été), qui toute seule et qui avec son copain (certains étaient intéressés).
Au début, il fallut s’habituer. Pas facile de prendre son pied quand on a un truc enfoncé dans le machin. Ça gêne et ça gâche tout, on hurle à l’invasion, on veut s’en débarrasser. Puis on se dit : du calme, l’ascenseur classique, je connais déjà, on est là pour tenter autre chose. On respire à fond, on se concentre mentalement sur son espace intérieur, on déclenche l’instrument et… on ne sent pas grand-chose. Pas grand-chose, mais… tout de même quelque chose. Un petit quelque chose d’intrigant. On sent bien qu’on n’arrivera pas au délire, mais on a quand même envie d’insister un petit peu. Ça plafonne dans une sensation agréable et apparemment interminable. On pourrait rester comme ça indéfiniment. Ça rappelle… qu’est-ce que ça rappelle ?… peut-être cette sensation lointaine de l’enfant qui a une tute ou une sucette en bouche. Ou bien, dans un morceau de musique, ce serait la basse continue. La vibration de fond sur laquelle va s’installer la mélodie. Et précisément, on a envie d’ajouter quelque chose. Alors on reprend son petit canard, ou sa brosse à dent ou son jet de douche ou que sais-je, et on compose les instruments.
Et là ! Psshaouw ! Le tout éclate en symphonie. Plus d’une qui a essayé et qui n’était pas déjà couchée s’est retrouvée par terre. On est passé dans un autre régime du moteur.
Voilà qui est tout de même rassurant, même si les avis restent partagés sur l’utilité de ce satané boyau. Il sert à : Rien du tout, un peu, beaucoup, énormément – l’éventail reste entier et tient sans doute aux sensibilités autant qu’au nombre d’années d’études.
Tout récemment, certaines d’entre nous ont accédé aux plaisirs absolument clandestins et se baladent avec un petit instrument à pile que l’on introduit le matin comme un vulgaire tampon et qui se met à vibrer lorsqu’on appuie sur une commande à distance. Elles l’activent lorsqu’elles sont dans le métro, ou au bureau ou au cinéma. Ou… (sourire coquin en parcourant la salle des yeux.)

Et ne croyez pas que nous allons en rester là ! Les progrès techniques sont bien loin de s’essouffler. Ils accélèrent, au contraire. Il existe aujourd’hui un robot spécialement conçu pour le coït. Fuckzilla. C’est son nom. Deux mètres et deux cent kilos. Le Terminator du sexe. Contrôlé par télécommande. Ce champion est l’aboutissement de toute une génération de machines à baiser qui ressemblent à des vilebrequins humains, des bêtes d’acier montées sur pistons. Fuckzilla succède, pour n’en citer que quelques-uns : au Drilldo, qui centrifuge à 1400 tours par minutes, à l’Intruder qui est un rameur hérissé de pilons à vrille, et au Trespasser dont les vibrations frisent l’implosion quand on le règle au maximum. Le concepteur de toute cette ménagerie, un ingénieur américain explique humblement : « Certaines filles ont vraiment besoin d’un bon matos ». Voilà ce que j’appelle un mec lucide. Un homme dont l’ego est capable de s’effacer derrière une machine dont tout le mérite est de ne pas en avoir. (D’ego.)

En un mot, nous, les filles, nous entrons les premières dans la sexualité du XXIe siècle qui aura pour nom technophilie. Car les robots d’aujourd’hui ne sont qu’un début. Ceux de la prochaine génération seront infiniment plus sophistiqués. Ce seront de véritables matrices immersives, des machines de stimulation sensorielle totales, équipées de tentacules zoomorphes pouvant pénétrer la plupart des orifices. On s’installera dans un fauteuil aux appendices nombreux et recouvrants, on enclenchera le programme et on partira pour un voyage dans les étoiles.
Quant à la troisième génération, elle se profile d’ores et déjà à l’horizon : l’implant électrique directement branché sur la moelle épinière. Le système existe déjà. Il coûte 20 000 dollars. Il a la taille d’un paquet de cigarette à greffer sous la peau au niveau des fesses. Bon, c’est ce qui fait qu’on préfère attendre un peu. Mais d’ici dix ans, ce sera sans doute une pastille qu’on activera d’un simple clic, aussi facilement qu’on prend une tasse de café. Plus facilement, en fait.

(une pause – un petit rire satisfait… puis un doute qui vient comme un moustique)

Et les hommes, dans tout ça ? Ah oui, les hommes…

Il faut bien dire qu’on les a un peu laissés en arrière. Avons-nous encore besoin d’eux ? A l’évidence non. Enfin pas pour ça. Ce n’est pas avec leur mécanique limitée qu’ils pourraient nous procurer des envolées pareilles. Et encore moins nous rejoindre sur les cimes. Les pauvres chéris sont soumis à la loi de la pesanteur. Tributaires de leurs poulies, treuil, bielles, piston, levier, courroies. Empêtrés dans l’effort. Ils ne peuvent pas comprendre. C’est pourquoi la politique générale au sein du club est de les laisser barboter dans leur ignorance. De leur donner les petits plaisirs dont ils se contentent et de nous occuper de nous-mêmes par ailleurs. La découverte de nos super pouvoirs ne pourrait que porter un coup définitif à leur virilité, déjà si problématique.
Savent-ils seulement que les vibros sont maintenant vendus dans le catalogue Trois Suisses ? Ou dans des réunions qui remplacent les réunions Tupperware et portent le joli nom de Fuckerware ? Non, ils ne le savent pas, et ils ne veulent pas le savoir.

Les hommes, si vous voulez mon avis, c’est une notion un peu dépassée. Une époque révolue. On en sourira comme de l’âge des cavernes de la sexualité.