Impact Médecine

Un bête ballon en caoutchouc

Faites rebondir une balle sur un mur. Que voyez-vous ? Un choc instantané, un contact d’une fraction de seconde. Maintenant, équipez le mur d’un capteur de force, un tout petit dispositif électronique qui enregistre la pression exercée sur la paroi, mais qui le fait au millième de seconde. Que verrez-vous alors ? Sur le mur, la même chose, mais à l’écran de votre ordinateur, une courbe majestueuse qui déroule, millième de seconde par millième de seconde, le phénomène que vos yeux sont trop balourds pour analyser.

Car dans ce choc d’une fraction de seconde, dont vous ne pouvez faire le détail, il y avait en réalité douze millièmes de secondes bien différents les uns des autres. Une fois le contact établi, la balle continue à se mouvoir vers le mur, en s’écrasant, et en exerçant une pression croissante, pendant six millième de seconde, après quoi elle inverse son mouvement, et la pression retombe, jusqu’à la fin du contact, six millièmes de secondes plus tard.

C’est une expérience proprement stupéfiante de voir ce choc instantané se transformer, à l’analyse, en une longue courbe en pente douce. Au tout premier moment, on ne fait même pas le rapprochement, on se dit que le capteur débloque. Puis on regarde les unités et on se dit que oui, peut-être bien, si tout cela n’a duré que douze millièmes de secondes, alors il est possible qu’on n’ait rien vu de cette élégante plasticité. Ce bête ballon en caoutchouc nous cachait donc des choses.

Oui, ce bête ballon nous cache des choses. Et la nature entière nous cache des foules de choses. Avec nos yeux, nos oreilles et deux ou trois autres organes récepteurs, nous ne disposons que de minuscules fenêtres sur le monde. Nous voyons quelques minces faisceaux de réels défiler dans notre point de mire. Et toute l’entreprise de la science, depuis que le premier homme un peu curieux a saisi le premier outil improvisé, passe par l’élargissement de ces fenêtres d’accès. Une loupe, un stéthoscope, une antenne, un scanner, un laser… tout un arsenal nous aide à voir ce que nous ne voyions pas. Le champ magnétique était là. Les ondes radio étaient là. L’électricité, la radioactivité. Autant de phénomènes dans lesquels nous étions immergés jusqu’au cou sans les soupçonner le moins du monde. Et tout ce qui était trop loin : les colères du Soleil, la face cachée de la Lune, les astéroïdes, les étoiles doubles, les galaxies. Et tout ce qui était trop près : les cellules, les molécules, les bactéries, les virus. Et tout ce qui était trop rapide : la foudre, la charge du guépard, le rebond d’un ballon. Et tout ce qui était trop lent : la dérive des continents, l’érosion, le vieillissement du Soleil.

Tous ces phénomènes étaient là, et nous étions là aussi, mais comme aveugles et sourds. Aujourd’hui, nous avons agrandi nos yeux et nos oreilles. Nous avons déplié le réel, sorti quelques mystères de leur emballage. Les graphiques s’accumulent, les photos, les ralentis ou les accélérés qui remettent la nature à notre échelle. 

Qu’y trouvera-t-on encore, dans cette nature inépuisable ? Combien de lapins attendent leur heure, tapis dans le chapeau? Bien malin qui peut le dire. Mais le plus enclin à découvrir le prochain scoop sera sans doute celui qui est capable de regarder avec curiosité ce qui se passe lorsqu’il lance un bête ballon en caoutchouc contre un mur.