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Un chercheur sur dix

Pendant les cinq longues années qu’il faut sacrifier pour obtenir un diplôme d’une très renommée « Business school », on apprend un grand nombre de choses inutiles et quelques-unes intéressantes, dont celle-ci : de tous les investissements consentis dans un plan marketing, 50% sont à coup sûr inutiles, mais il est impossible de savoir lesquels.

C’est un chimiste de mes connaissances qui me remit en mémoire ce principe lorsque, parlant de la recherche scientifique, il affirma que selon lui 90% des chercheurs faisaient du travail inutile, mais qu’il était impossible de savoir lesquels, et que par conséquent le budget de la recherche était incompressible.

Si seul un chercheur sur dix fait réellement avancer la science, on est encore bien au-dessous de l’efficacité des budgets publicitaires. Mon chimiste était peut-être pessimiste. Mais il n’en défendait pas moins farouchement la nécessité d’investir dans la science, car le franc qui fera mouche le fera pour longtemps. Ne bénéficions-nous pas toujours copieusement des traits de génie jaillis dans la tête d’un Newton, d’un Lavoisier, d’un Edison, d’un Pasteur et de quelques centaines d’autres ? Qui oserait dire qu’il eût fallu faire preuve de plus de discernement dans la gestion du progrès scientifique alors que celui-ci est par essence imprévisible et capricieux ? De grandes idées peuvent encore naître dans une cave ou sur une table de cuisine, d’autres ne peuvent se passer d’un équipement lourd et d’une collaboration internationale. Mais que tous les penseurs pensent, et les vaches seront mieux gardées.

Ce n’est pas l’avis de l’opinion publique. Du moins pas de celle que chatouille régulièrement la Sofres avec ses questions indiscrètes. « Pensez-vous que les chercheurs sont des gens dévoués qui travaillent pour le bien de l’humanité ? » 33% des Français le pensent. Ils étaient 53% il y a trente ans. « Les chercheurs ont-ils un pouvoir qui peut les rendre dangereux ? » 41% disent oui, contre 29% avant. La cote du savant est en chute libre. Que s’est-il passé ? Vous direz qu’il s’est passé Tchernobyl, l’explosion de la navette spatiale, le sang contaminé, le bioterrorisme, le risque alimentaire, l’alerte au réchauffement de la planète… Mais nous avions déjà eu Hiroshima, Seveso, le Hindenbourg et le Titanic. Que la science puisse comporter des risques et des ratés, ce n’est certainement pas là une nouveauté. N’est-ce pas plutôt l’humeur du quidam qui se détériore, et sa foi en l’avenir de façon générale ? A climat morose, opinions moroses. Si l’économie et la politique nous donnaient des perspectives moins comprimées, gageons que la curiosité de connaître le monde suivrait aussitôt.

Car la science, elle, ne s’est jamais montrée si prometteuse. La somme de matière grise et d’appareillages qui en ce moment même s’emploient à explorer les secrets de la nature est proprement époustouflante. Les prouesses techniques et la puissance de calcul actuelle permettent d’engranger des résultats à une allure démentielle. Bien sûr, le volume de nos connaissances augmente comme une sphère, dont la surface de contact avec l’inconnu est, elle aussi, de plus en plus grande. Mais n’est-ce pas là le véritable et ultime sujet de fascination ? Plus nous en savons, plus grande nous apparaît l’étendue de notre ignorance. En matière de curiosité scientifique, la satiété n’est pas à craindre. Seulement le léger vertige de celui qui, se penchant au balcon pour voir quel temps il fait, découvre un paysage infini qui se déroule à ses pieds.